Bonjour et bienvenue sur ce nouveau blog qui regroupe désormais l'ensemble de mes écrits passés. A présent, j'espère bien pouvoir l'enrichir de temps à autre de textes inédits. Vous trouverez dans le menu de droite deux catégories : les nouvelles et les ateliers d'écriture. Après, il n'y a pas d'ordre de lecture particulier donc, si mes textes ne sont pas trop mauvais, faites-vous plaisir !
Je le dis à chaque fois : cet espace est aussi le vôtre. Vos retours sont importants pour me permettre de progresser et de persévérer.
Bonne visite et à bientôt !

Le Sursis

Chapitre 1

Spiderman était dans une situation désespérée. Blessé, à terre, il voyait le Bouffon Vert fondre sur lui à pleine vitesse sur son planeur. Il tenta de lancer ses toiles mais ses cartouches étaient vides. Sa dernière vision fut celle d’une citrouille explosive que lui lançait le Bouffon.

GAME OVER

DO YOU WANT TO CONTINUE ?

Eric, rageur, balança sa manette puis éteignit la console. Une nouvelle fois, il avait échoué au dernier niveau, celui où Spider-Man affrontait le Bouffon Vert, son ennemi de toujours. Eric était maussade. Il se dirigea vers le réfrigérateur et sortit l’assiette où du poulet froid était posé sur des feuilles de salade. Il prit la mayonnaise en tube et le Coca, disposa le tout sur un plateau plastique et revint s’asseoir sur le canapé. Il mangea négligemment, tout en zappant avec la télécommande du téléviseur. De temps en temps, il jetait un coup d’œil sur le cadran de l’horloge. Son père n’était toujours pas rentré. Un soir comme tous les soirs en somme.

Eric mordit dans sa cuisse de poulet, la mine sombre. Il se demandait bien comment son père allait bien pouvoir justifier une nouvelle fois son retard. Probablement une réunion de plus qui s’est éternisée. Un dossier urgent à finir. Une affaire courante qui ne peut attendre. Il se demandait aussi quel cadeau son père se sentirait-il obligé de lui offrir pour ne pas avoir à répondre de son retard. Un jeu vidéo de plus ? Un DVD ? Des entrées pour tel ou tel spectacle ?
Eric fixa sa nouvelle console. Le prix d’une absence. Son jeu « Spiderman ». Le prix d’une autre absence. Et ainsi de suite. Tout ce qui lui appartenait était lié aux absences quasi-quotidiennes de son père. Eric se sentait mal. Il avait l’impression qu’on l’achetait, lui. Et qu’il était posé là. A devoir toujours attendre.

Ses parents étaient séparés. Entre une mère volage et un père absent mais riche, la justice avait tranché. Et s’était sûrement enrichie par la même occasion. C’était du moins ce qu’Eric pensait du haut de ses treize ans. Mais certaines voies de la justice sont impénétrables.
Ne pas être avec sa mère ne le gênait pas ou du moins pas plus que ça. Eric savait qu’elle avait souvent trompé son père. Mais il ne portait pas de jugement. C’était juste une femme délaissée qui avait cherché ailleurs la présence qu’elle n’avait pas dans sa propre maison. Mais ça s’était finalement retourné contre elle. Lors du divorce, elle avait demandé la garde d’Eric. Et des compensations financières. Elle n’avait eu ni l’un ni l’autre. Juste le droit de venir le chercher un week-end sur deux et certaines vacances scolaires. Mais c’était un droit dont elle n’usait que très rarement. Sans argent et sans travail, elle avait du se résoudre à rejoindre ses parents, à 800 km de là.

Eric vivait donc seul avec son père. Souvent sans. Mais Eric n’avait jamais douté de l’amour de son père pour lui. Il en était intimement persuadé, ne se posait même pas la question. Mais son père travaillait. Beaucoup. Tout le temps. Jusque très tard.
Comme aujourd’hui donc. Mais Eric commençait à s’inquiéter. Les heures s’étaient égrenées et l’horloge marquait deux heures. Eric bailla, se dit qu’il avait cours demain, et en vint vraiment à se demander ce que son père faisait.

A une vingtaine de kilomètres de là, la BMW de son père gisait éventrée sur la chaussée. Refus de priorité. Coups brusques sur le volant et la pédale de frein. Tonneaux. Jusqu’à une petite route en contrebas. Et un peu plus loin, dans les fourrés, éjecté par la violence du choc, Renaud Marcheix était étendu, mort.

Chapitre 2

Lorsque Renaud se réveilla, il n’en crut pas ses yeux. Il était menotté, la chemise ensanglantée et une douleur lancinante lui vrillait les tempes. Mais surtout, il était dans une pièce sombre et froide qui ressemblait à une sorte de tribunal. Il devinait, dans l’ombre, une présence en face de lui. Et d’autres tout autour, même s’il ne pouvait les voir. Il se savait observé. Tout à coup, le tribunal s’éclaira. Renaud fronça les yeux et poussa un cri de surprise lorsqu’il vit les gens qu’il avait en face de lui.

Il était entouré d’enfants, de 5 à 18 ans environ. Ils formaient un U inversé au milieu duquel se tenait un autre enfant, à la mine sombre, vêtu d’une toge rouge. L’enfant le fixait sévèrement. Les autres ne souriaient pas non plus mais le regardaient sans hostilité apparente. Certains chuchotaient entre eux.
Renaud vit une porte s’ouvrir à sa gauche. Un adolescent entra et proclama solennellement :
-Affaire Eric Marcheix sous l’autorité du juge Théo Paradis.
L’enfant se retira aussi discrètement qu’il était entré. Renaud était interdit. Avait-il bien entendu ? Qu’est-ce qu’Eric venait faire là dedans ? Que venait-il faire lui-même là dedans d’ailleurs ?
Théo Paradis prit la parole, d’une voix claire et assurée :
-Renaud Marcheix, savez-vous pourquoi vous êtes ici ?

Bien que toujours ahuri sous l’effet de la surprise, Renaud Marcheix sentait ses nerfs le lâcher petit à petit. Il ne savait pas à quoi rimait cette mascarade. Mais il savait qu’il était blessé, fatigué, planté là au beau milieu d’un cauchemar qui ne semblait pas vouloir s’arrêter.
-Si c’est à cause de l’accident, je…
Renaud n’eut pas le temps de finir sa phrase. Il sentit soudainement ses menottes se resserrer sur ses poignets et laissa échapper un sifflement de colère et de douleur.
-Mauvaise réponse, Monsieur Marcheix.
Le juge avait parlé sans agressivité mais avec détermination.
-Ne croyez pas que vous avez affaire à une quelconque farce. Nous ne sommes que des enfants, c’est vrai. Pourtant, nous sommes votre seul espoir de survie, en fin de compte.
Renaud regarda le juge l’air incrédule. Il ne comprenait rien de rien. Et Eric… Qu’est-ce que… ?
Théo Paradis dut deviner le désarroi croissant de Renaud car il prit la parole une nouvelle fois :
-Nous savons que vous venez d’avoir un grave accident du fait d’un automobiliste qui n’a pas respecté une priorité à droite. Mauvaise nouvelle pour vous : le conducteur de l’autre véhicule s’en est sorti sans une égratignure. Et en ce qui vous concerne, aucun doute à avoir : vous êtes bien mort. Les aléas de la destinée en quelque sorte. Une fois mort, vous savez sûrement comment ça se passe : les Anciens tranchent entre le Purgatoire, l’Enfer et le Paradis. Et si vous êtes d’une religion différente, nous transférons votre dossier au Bureau des Religions Etrangères qui fait suivre aux autorités compétentes.
-Heureusement –ou malheureusement- pour vous, vous avez un enfant. De ce fait, votre dossier est passé entre nos mains et nous souhaitons donc l’étudier avec vous. Tout en sachant bien évidemment que vous n’aurez aucun recours quant à la décision qui sera rendue à l’issue de cette audience.

Renaud Marcheix se serait volontiers laissé convaincre qu’il était en train de rêver s’il n’y avait pas eu toutes ces courbatures qui l’endolorissaient de partout. Il était mort, c’est ça ? Mais lui se sentait bien vivant. Mal en point mais vivant. Et il pensait à Eric qui devait l’attendre.
-Votre fils ne risque rien, continua le juge comme s’il avait lu dans ses pensées. Ici, le temps est suspendu. Il s’est arrêté au moment de votre mort. Passons maintenant à votre dossier. Nous en avons tous eu un exemplaire ici et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il est accablant. Vraiment.

Un murmure croissant s’éleva des rangs du tribunal. Tout le monde le regardait à présent avec curiosité et réprobation. Renaud ne comprenait rien. Que s’était-il passé après l’accident. Pourquoi n’était-il dans un hôpital ? Et s’il était mort, que faisait-il dans ce tribunal à essayer de discuter avec des enfants venus de nulle part ? Il n’en savait rien, n’avait aucune réponse.
Résigné, il s’assit sur le fauteuil mis à sa disposition à côté de lui. Et écouta.

Chapitre 3

Comment savaient-ils tout ça ? Renaud était effondré sur son fauteuil. En une trentaine de minutes, le juge Théo Paradis avait fait un tour d’horizon clair et précis de ce qu’avait été sa vie. Une vie de travail, d’argent, de coups bas et de dessous de table lorsqu’il s’était agi de s’assurer la garde de son fils. Mais également une vie de débauche les soirs où il disait à Eric avoir trop de travail pour rentrer de bonne heure.
Renaud n’avait pas pensé un seul instant à nier quoi que ce soit. A quoi bon. Peu importait finalement comment ils l’avaient su. Tout était vrai. Il était désemparé, perdu. Et pour tout dire, pas très fier.

Renaud Marcheix avait trompé sa femme dès le début de leur mariage en fait. Bien avant qu’elle ne se décide à faire de même quelques années plus tard. Il avait multiplié les aventures. Mais il avait été plus discret qu’elle, tout en la faisant suivre par ailleurs, ce qui lui avait permis d’apporter des preuves accablantes au tribunal qui devait statuer sur le droit de garde d’Eric. Sans compter quelques pots de vin.
Ils n’étaient tous que des enfants. Mais Renaud se sentait écrasé sous le poids de sa propre culpabilité. Il n’osait plus les regarder en face. Et était toujours déboussolé, persuadé qu’il allait enfin se réveiller près de sa voiture accidentée.

Il était tellement absorbé par ses pensées qu’il sursauta lorsque Théo Paradis reprit la parole.
-Comprenez bien que notre rôle n’est pas de juger la médiocrité de votre vie. Notre rôle est de veiller à ce qu’Eric, qui a toujours subi les conséquences de votre lâcheté, puisse enfin être épanoui et avoir la vie qu’il est en droit d’attendre. Est-ce que, si vous restez mort comme vous l’êtes actuellement, sa vie ne sera pas meilleure ? Ou bien est-ce que son avenir passe par votre rédemption ?
Jusqu’à présent, bien que le juge le lui ait déjà annoncé, il n’avait pas pu se résoudre à croire à sa propre mort. Mais là, c’était comme s’il avait reçu un violent coup à l’estomac. Non seulement, ce tribunal d’enfants allait statuer sur son compte. Mais surtout, quelque part, sa vie dépendait d’Eric. Etroitement. Il en était persuadé.

-Nous allons nous retirer Monsieur Marcheix. Et nous vous ferons savoir aussitôt après notre décision.
Comme Renaud s’apprêtait à ouvrir la bouche pour protester, le juge leva la main pour l’interrompre.
-Ici, vous n’avez rien à dire. Comme nous savons déjà tout, y compris vos pensées présentes, il est inutile que vous perdiez votre temps à vous justifier. D’autant que de piètres explications risqueraient de nuire davantage à votre dossier déjà bien calamiteux. De toute façon, vous êtes déjà mort alors vous n’avez rien à perdre.
Théo Paradis se dirigea vers la sortie, puis se retourna, une étrange lueur dans le regard :
-Ah si, Monsieur Marcheix, j’allais oublier. Si votre mort est confirmée, il me restera à vous apprendre où, de l’Enfer ou du Paradis, vous allez finalement occuper votre éternité.

Le juge et les enfants disparurent. La salle retrouva son aspect sombre et lugubre. Renaud était à nouveau seul. Il ferma les yeux et hurla. Un long cri de bête. Mais lorsqu’il rouvrit les yeux, la salle n’avait pas disparu. Il se mit alors à pleurer, la tête entre ses mains.

Le temps de délibération lui parut interminable. Il regarda machinalement sa montre, mais puisque le temps s’était arrêté, elle ne fonctionnait plus. Puis, finalement, la grande porte du fond s’ouvrit. Mais alors qu’il pensait voir revenir les enfants, rien ne se produisit. Aucun bruit. Juste les ténèbres derrière l’ouverture béante. Intrigué, Renaud se leva puis s’approcha. Avant qu’il ne puisse réagir, il fut aspiré par une violente bourrasque. La porte l’engloutit, le vent couvrant ses hurlements.

Il tomba lourdement et eut un instant l’impression d’avoir sa respiration coupée sous l’effet du choc. Il entendit une explosion assourdissante à quelques mètres de lui. Il leva péniblement la tête et vit sa BMW en flammes. Mais il était vivant, bien vivant. Il ne put se retenir et éclata de rire. Un rire mi-soulagé, mi-nerveux. Il avait bel et bien rêvé. Il était juste en état de choc. Avec quelques ecchymoses.
Son rire s’estompa aussi vite qu’il était venu lorsqu’il vit Théo Paradis s’avancer vers lui. Il ne l’avait pas entendu approcher. Il avait troqué sa toge pour un ensemble t-shirt et jean baskets. Il lui dit simplement :
-Vous avez obtenu un délai. Un mois. Un mois pour faire vos preuves. Un mois pour une vie.
Puis il disparu, laissant Renaud Marcheix, comme assommé, seul sur le bord de la route.

Chapitre 4

La police ramena Renaud Marcheix à son domicile. Groggy et sale, il manqua de tomber lorsque Eric, en pleurs, se jeta dans ses bras. Renaud, épuisé, lui sourit tout en lui passant une main dans les cheveux.
-Tout va bien, fils. La voiture est morte mais moi je n’ai rien. Mais je suis un peu fatigué. Je suis navré que tu m’aies attendu. Tu aurais du te coucher.
Renaud regarda son fils et se sentit mal. Eric s’était inquiété, persuadé que c’était à cause de son travail. Alors qu’il s’était amusé, une fois de plus en galante compagnie. Il repensait à ce tribunal, à tous ces enfants qui le fixaient. Et l’échéance qu’on lui avait imposée. Un mois.
Ces deux mots résonnaient dans sa tête comme un leitmotiv. Un mois. Un mois. Ca en devenait presque obsédant. Un mois pour s’acheter une conduite. Pour mériter de vivre. Des mômes tenaient sa vie entre leurs mains. Cette idée lui était insupportable.
Tout se mélangeait en lui. Il devait s’allonger. Dormir. Demain serait un autre jour. Il se laissa tomber sur le lit et Morphée l’emmena aussitôt. Un sommeil agité l’accompagna jusqu’au matin.

Renaud fut réveillé par la sonnerie de son portable. Troublé par les évènements de la nuit, il avait complètement oublié de régler son réveil. Encore somnolant, il entendit la voix rugissante de son patron. Bon sang ! La réunion ! Il était en train de rater la réunion ! Celle à ne surtout pas manquer justement. Tous les partenaires nationaux de l’entreprise étaient attendus et c’était précisément à lui de piloter la conférence.

Tout en s’habillant à la va-vite, Renaud regarda négligemment son réveil. Il vit le voyant rouge allumé. Il l’avait donc bien réglé. Mais il ne s’était pas déclenché. Se pouvait-il que… ?
Renaud secoua la tête. Il était en train de devenir parano, pensa t-il. Il dévala l’escalier, avala un verre de lait et sortit précipitamment. Il se dirigea vers le côté droit de la cour où était entreposé son autre véhicule. Au début, il crut à une illusion d’optique, pensa même qu’il était décidément bien mal réveillé. Mais il dut se rendre vite à l’évidence. Ses pneus étaient bien dégonflés. Renaud sentit une profonde colère l’envahir, ainsi qu’une grande lassitude. Il pesta par principe puis leva la tête. Il vit alors à quelques mètres de lui un enfant l’observer malicieusement, une sucette à la bouche. Il était sûr que ce gosse était de ceux présents au tribunal. Il ne put se retenir davantage :
-Vous me faites ch…, sales mômes ! Je sais ce que vous pensez. Mais cette réunion est très importante pour moi. Et j’irai quoi que ça vous fasse. Alors, du balai !
Renaud avait littéralement hurlé la dernière phrase. Il s’aperçut alors que de nombreux voisins l’observaient de leurs fenêtres, surpris.
Il grommela puis rentra appeler un taxi.

A l’étage, Eric avait assisté à la scène. L’enfant à la sucette ne le quittait pas du regard. Et continuait à sourire.

Chapitre 5

La réunion s’était très mal passée. Les partenaires étaient visiblement irrités du retard de Renaud. Son patron le fusillait du regard dès qu’il avait le tort de jeter un œil dans sa direction. En plus, il n’avait rien préparé et sa nervosité n’arrangeait rien. A midi, la réunion n’était pas terminée, loin de là, mais il refusa d’aller déjeuner avec les autres, ce qui irrita un peu plus encore son patron. Il avait besoin de s’isoler, de réfléchir. Comment concilier son travail et son fils ? Un mois.

Ce qui agaçait aussi Renaud étaient les allusions assassines des enfants du tribunal. Ils insinuaient ni plus ni plus qu’il n’était pas un père à la hauteur. Eric n’avait pourtant jamais manqué de rien. Et puis quoi, pensa t-il, j’ai trimé comme un fou pour avoir l’aisance matérielle que lui et moi avons aujourd’hui. Je ne vais quand même pas m’excuser d’avoir trop travaillé.
Et les femmes, chuchota une voix dans sa tête ? Les femmes d’un soir ou de quelques nuits qu’il préférait à la présence de son fils.
-La ferme, siffla Renaud et la petite voix se tut.
Renaud était subitement en train de prendre conscience de l’étendue de la mission qui l’attendait. En un mois, ça lui paraissait tout à coup infaisable. Comment rattraper toute une vie en quelques semaines ? Comment devenir quelqu’un d’autre ? Quelqu’un qui réponde aux attentes de quelques gamins sortis d’on ne sait où.
Il mangea machinalement un sandwich acheté au distributeur, perdu dans ses pensées. Il ne devait plus perdre de temps. Prendre des décisions.

Lorsque la réunion reprit, Renaud donna sa démission à une assemblée médusée.

Chapitre 6

Renaud Marcheix sortit du bâtiment et héla un taxi garé un peu plus haut. Il monta à l’arrière du véhicule et essaya d’organiser ses pensées.
-Bon, pensa t-il, une bonne chose de faite. Je vais commencer par consacrer tout ce mois à mon fils. Il me suffit de passer toutes mes journées avec lui. Comme ça, ils ne pourront rien trouver à redire. Il sera toujours temps pour moi de reprendre une activité le mois prochain. Avec mon expérience, ça ne devrait pas être trop difficile.
Renaud se sentait soulagé pour la première fois depuis sa nuit tourmentée. Il venait de prendre conscience qu’il devait prendre les choses une à une. Du coup, il était persuadé que sa démission était une bonne chose. Il aurait ainsi l’esprit moins occupé et pourrait pleinement se consacrer à son fils. Il ne savait absolument pas comment occuper le mois à venir mais il trouverait. Il suffirait d’en parler à Eric. Il n’aurait qu’à planifier son « mois idéal ». Sans école pour passer encore plus de temps ensemble. Des fois que ces gosses seraient encore dans les parages, autant être irréprochable.

Renaud était à nouveau perdu dans ses pensées. Tellement perdu même qu’il ne s’était pas rendu compte que le taxi s’était arrêté sur le bas côté, sur une petite route. Et qu’il attendait.
-Dites, excusez-moi mais je n’ai pas toute la journée…et, non mais, quel culot ! Le compteur continue de tourner ! Vous êtes mala…
Il ne put terminer sa phrase. Le chauffeur à la casquette se retourna et Renaud balbutia :
-Oh non ! Pas encore, pas encore…
Le conducteur du taxi était un adolescent d’une quinzaine d’années. Il souriait. Mais son regard était sombre.
-Théo va nous rejoindre. Il est très mécontent, vous savez ! Vous ne devriez pas l’énerver comme ça.
-Mais qu’est-ce que j’ai fait ? Je ne…
-Taisez-vous, Renaud Marcheix !
Théo Paradis venait d’entrer à l’arrière du taxi, juste à côté de lui. Son visage était fermé.
-Cela fait plusieurs fois que nous devons intervenir. Peut-être n’ai-je pas été assez clair mais le délai que nous vous avons laissé inclut que vous soyez autonome durant cette période. En principe, nous ne sommes pas tenus de vous aider et…
Renaud explosa :
-M’AIDER ! ! ! Vous pensez sérieusement M’AIDER depuis ce matin ? Vous avez pourri ma matinée en sabotant mon réveil et en saccageant ma voiture ! ! ! Du coup, je suis arrivé en retard, ce qui a sabordé ma réunion ! Ensuite, j’ai du me résoudre à démissionner ! Et maintenant, vous voilà en train d’essayer de …
-Votre démission est inacceptable, Monsieur Marcheix, dit Théo sans aucune agressivité mais en articulant chacun des mots qu’il prononçait. Le délai que nous vous avons accordé ne vous donne pas le droit de fausser les cartes. Oh bien sûr, il serait tellement plus simple de rester un mois entier avec votre fils et de le pourrir à grands coups de cadeaux ou de voyages. Mais il n’en est pas question. Vous avez à faire vos preuves dans une situation déjà établie. Alors n’essayez pas de changer la donne. Sinon, nous rejetons le délai qui vous a été généreusement offert et la police vous retrouvera sur cette route, comme cela aurait du se produire la nuit dernière.

Renaud réalisa soudain que le taxi l’avait ramené à l’endroit de l’accident. Comment diable ne s’en était-il pas rendu compte plus tôt ?
-Vous allez voir votre ancien patron et le convaincre de vous reprendre. Bien sûr, vous devrez laisser votre ego au vestiaire mais ça ne peut pas vous faire de mal. Pour une fois, vous ne pourrez pas céder à la facilité, ça vous changera. Eric a besoin de faits sincères, pas de poudre aux yeux. N’oubliez pas que la perfection n’est pas de ce monde et que ce n’est donc pas ce que l’on vous demande. Conciliez au mieux vie privée et vie professionnelle et surtout évitez de tricher.
-Oh ! Encore une chose, Monsieur Marcheix ! Concernant les petits incidents de ce matin au réveil, nous nous sommes juste dits qu’une réunion, aussi importante soit-elle, ne vous dispensait pas de dire au revoir à votre fils ou, tout au moins, de lui laisser un petit mot. Voilà le genre de petites attentions toutes simples qui créent des bonheurs tout aussi simples.
Théo Paradis sortit de la voiture
-Kévin va vous ramener. Mais il a raison. J’apprécierais vraiment de ne plus être obligé d’intervenir en permanence ou de devoir faire ces petites mises en garde qui font perdre du temps à tout le monde. Un mois pour faire vos preuves, c’est court.

Une fois Théo parti, Kévin raccompagna Renaud sur son lieu de travail.

Chapitre 7

Jamais son patron ne lui avait semblé aussi imposant. Et lui aussi petit.
VOUS REPRENDRE ! ! !, hurla t-il en postillonnant comme un beau diable, IL N’EN EST PAS QUESTION ! ! ! Dehors, DEHORS ! ! ! Vous m’avez rendu ridicule auprès de la commission ! Le projet est avorté, vous êtes content, BOUGRE D’IMBECILE ! ! ! Vous me plantez là, présentant votre démission DEVANT LES PARTENAIRES et une fois la réunion achevée, vous vous présentez devant moi pour être REEMBAUCHE ! ! ! Vous vous foutez de moi ?
Renaud n’en menait pas large et, à vrai dire, sa fierté en prenait un sacré coup. Mais il devait s’accrocher et récupérer sa place. Faute de quoi, il subirait les foudres de Théo Paradis et de sa troupe. Et même s’ils n’étaient que des enfants, Renaud n’avait aucune envie de se retrouver une nouvelle fois face à l’un d’eux.
-Je vous propose un marché, Monsieur. Je récupère le projet et le mène à bien. En contrepartie, vous me réintégrez dans mes fonctions.
Son patron, l’air mauvais, le fixa droit dans les yeux. Il semblait hésiter.
-Je vous laisse jusqu’à la fin de la semaine pour me remettre le projet signé par tous nos partenaires. Vous vous y prenez comme vous l’entendez mais inutile de revenir en cas d’échec. Et maintenant DEHORS !

Renaud prit congé précipitamment, referma la porte et décida de rentrer chez lui. On était mercredi. Il lui restait donc deux jours pour convaincre les partenaires. Convaincre des gens qu’il avait laissés sur le carreau quelques heures auparavant. Mais surtout, la réunion avait été difficile à organiser car les partenaires en question venaient de tous les coins de France. Il devait donc absolument contacter leurs hôtels avant qu’ils ne quittent la ville.
Sitôt rentré chez lui, il s’attela à la tâche. Par chance, les partenaires les plus éloignés géographiquement ne comptaient pas partir le jour même. Quant aux autres, ils venaient juste de reprendre la route lorsque Renaud les appela sur leurs portables.
Négocier une nouvelle réunion avant la fin de la semaine ne fut pas chose aisée, d’autant que les participants avaient très mal perçu que le meneur de réunion, en retard de surcroît, ait pu les planter là, en tout début d’après-midi. Heureusement pour Renaud, le projet était juteux et chacun espérait bien, sans pour autant se l’avouer, qu’il aboutirait. Et le fait de tout remettre à plat au plus tôt évitait également des allers-retours incessants qui feraient perdre du temps. Renaud parvint donc à planifier une réunion pour le jeudi soir, réunion qui se déroulerait chez lui puisque son patron avait été très clair : il ne voulait le revoir qu’avec le projet signé. Donc il ne souhaiterait pas assister à une nouvelle réunion. D’ailleurs, ça l’arrangeait finalement. Après tout, c’était à lui, Renaud Marcheix, de mener ce projet à bon port.

Lorsqu’il eut donné le dernier appel, il se sentit soulagé, presque heureux. Une sorte de paix bienvenue par rapport à tout le stress accumulé. Il regarda sa montre. Eric allait bientôt quitter le collège. Il décida d’aller le chercher. Ca lui ferait une surprise et puis, lui, ça le détendrait aussi. Soudain, il se pinça les lèvres et se rappela que sa voiture était hors service et qu’il devait changer les quatre pneus. Puis il eut une intuition et sourit.

Lorsqu’il se dirigea vers sa voiture, il vit que les pneus étaient en parfait état.

Chapitre 8

Cela faisait plus d’une semaine que Renaud n’avait plus croisé le chemin de Théo Paradis. Entre-temps, il avait conclu son affaire, était de nouveau rentré dans les bonnes grâces de son patron et se partageait entre son boulot et son fils. Bref, les choses n’allaient pas si mal mais Renaud restait sur ses gardes. Après tout, il restait un peu moins de trois semaines et tant d’évènements pouvaient se produire dans ce laps de temps. On ne sait jamais, avec ces satanées gamins qui surgissent toujours de nulle part.

Mais Théo Paradis n’était pas le vrai souci de Renaud. Ce qui l’angoissait, c’est qu’il avançait en aveugle. Sans savoir si son salut était en bonne voie. Sans savoir si tout ce qu’il faisait était suffisant. Peut-être faisait-il tout ça pour rien ?
-Et ton fils ? C’est rien peut-être ? murmura une voix dans sa tête. Arrête de toujours tout ramener à toi bordel !
Renaud était seul dans le salon mais il rougit comme s’il avait sorti une ânerie devant des dizaines de personnes. Eric était à l’école puisqu’il n’était plus question pour Renaud de « fausser les cartes » comme l’avait prévenu Théo Paradis la dernière fois qu’il l’avait vu. Renaud venait de rédiger son testament, le genre de chose qui ne lui serait encore jamais venu à l’esprit. Un testament dans lequel il n’avait pas oublié son ex-femme qu’il n’avait décidément pas épargnée depuis leur rencontre. Il venait de prendre rendez-vous chez son avocat pour valider tout cela mais il ne se sentait pas mieux pour autant. Bien au contraire. Il avait un peu l’impression d’anticiper sa propre mort comme si elle était finalement inéluctable.

Il ne pouvait pas encore savoir à quel point il avait raison.

Chapitre 9

Théo Paradis se tenait allongé sur son petit nuage d’où il observait ce qui se passait en dessous. Il souriait en voyant Eric et Renaud prendre une glace à la terrasse d’un café par une belle journée très ensoleillée. Théo se sentait le cœur léger. Ce type n’était pas si irrécupérable que ça finalement. Non seulement il passait plus de temps avec son fils mais surtout il prenait enfin du plaisir. D’ailleurs, ni lui ni ses camarades n’avaient eu besoin de le rappeler à l’ordre depuis un sacré bout de temps. Dans une petite dizaine de jours, le sursis laissé à Renaud Marcheix prendrait fin. Théo ne pourrait alors plus intervenir mais il était bien persuadé que ce ne serait plus nécessaire. Renaud et son fils s’étaient retrouvés. Point. Fin de l’histoire. Le reste ne lui appartenait plus. La vie qu’ils se créeraient ensuite n’appartenait qu’à eux.

Théo sentit une présence au dessus de lui. Un autre enfant se posa sur l’épais nuage cotonneux. A sa mine renfrognée, Théo sût immédiatement qu’il y avait un problème.
-Théo, le patron veut te voir et je peux te dire qu’il n’est pas content. Mais alors pas du tout !
Théo tressaillit. Pas tellement parce qu’il s’apprêtait à se faire remonter les bretelles. Mais parce qu’il sentait déjà ce que cela impliquait. Il jeta un dernier regard vers Renaud et Eric et son regard sembla se perdre dans le vide.
Il se mit à flotter, comme une feuille balayée par le vent, prenant de l’altitude. Et au bout de quelques secondes qui lui parurent interminables, il arriva enfin.

Chapitre 10

Il ne le voyait pas bien sûr. D’ailleurs, il ne l’avait jamais vu. Mais Théo Paradis savait bien qu’Il était là. Et qu’Il l’observait. Les nuages au dessus de lui s’étaient amoncelés en une immense masse noirâtre zébrée ci et là par une multitude d’éclairs. Une mise en scène qui, bien qu’un peu théâtrale, ne présageait rien de bon.
Théo n’en menait pas large. Il tremblait même et le vent glacial qui s’était soudain levé n’arrangeait rien.
Un faisceau de lumière sortit de la sombre masse nuageuse et enveloppa Théo. Mais c’était de la lumière froide. Un peu comme il l’avait fait subir à Renaud Marcheix, Théo avait l’impression d’être au centre d’un tribunal, attendant le jugement puis la sentence qui ne manquerait pas d’arriver.
-Depuis quand s’amuse t-on à ressusciter les morts, tonna une voix au dessus de lui. Une voix de stentor, claire, autoritaire et tranchante. Depuis quand ose t-on changer ce qui a été fait ?
Théo baissa les yeux. Mais son côté parfois éhonté reprit le dessus.
-Avec tout le respect que je vous dois, et quelles que soient les règles que j’ai pu enfreindre, vous ne me ferez pas regretter ce que j’ai fait.
-Le respect ? rugit la voix, tandis que le vent devint soudain plus tempétueux et les nuages encore plus noirs. Oublies-tu à qui tu t’adresses Théo Paradis ? Tu sais qui je suis et tu oses me parler de RESPECT ?

Théo ne répondit pas mais il n’était pas certain de le devoir de toute façon. Il était bien parti pour se prendre un savon mais il s’inquiétait surtout pour Eric et son père. Une inquiétude qui lui nouait la gorge et dont il ne parvenait pas à se défaire. Malgré sa propre situation.
Apparemment, Il le sentit car sa voix se fit moins caverneuse. Mais tout aussi claire.
-Théo Par… Ah, et puis par pitié change moi ce nom ridicule ! Décidément, les jeunes ne respectent plus rien, siffla la voix, visiblement contrariée.
-Théo, ce que tu as fait est d’une extrême gravité. Tu es passé outre ma propre autorité et tu as surtout cherché à changer le cours de l’Histoire. Les pages que j’écris ne peuvent être effacées ou modifiées, tu le sais. C’est la règle numéro 1, celle à ne surtout pas transgresser.
-Oui mais ce n’est pas…, commença l’enfant qui avait à présent les larmes aux yeux.
-Juste ? coupa la voix. Mais qui es-tu pour décider de ce qui est juste ou pas ? Qui es-tu pour passer outre ma propre autorité ? Pour penser à ma place ? C’est écrit, point. Tu n’as pas besoin d’en savoir plus. Ou d’être d’accord ou pas.

Théo Paradis ne répondit pas. Un silence pesant venait de s’installer. La voix s’était tue. Difficile de savoir si c’était bon signe ou pas. La masse nuageuse planait toujours au dessus de lui, toujours entrecoupée d’éclairs. Mais le vent avait considérablement diminué d’intensité et de froideur.
-Que va t-il se passer… pour Eric et son père…, demanda enfin Théo.
-Que veux-tu qu’il se passe ? Renaud Marcheix est officiellement mort, quoi que tu aies crû pouvoir en décider. Rien de ce que tu peux dire ou faire ne changera cela.
-Mais j’ai modifié le cours de l’Histoire, répondit Théo. Il n’est pas mort. Il est là, en bas, bien vivant, avec son fils. Pourquoi rechanger le cours des choses ? Est-ce simplement… pour me punir ?
-Te punir ? Je suis au dessus de tout ça, mon garçon. Je suis certes en colère mais je n’ai pas envie de ressembler à l’autre diablotin en collants roses. Je suis surtout déçu. Déçu que tu n’aies pas compris quelle était ta place, et surtout quelle était la mienne. Tu as de toute façon ta propre punition. Tu as échoué à sauver Renaud Marcheix parce que tu as cherché à modifier les pages d’un livre déjà écrit.
-Echoué ? Comment ça échoué ? demanda Théo dont la voix dissimulait mal le sentiment de panique qui s’emparait de lui.
-Tu n’as jamais ressuscité qui que ce soit. Pensais-tu vraiment le pouvoir ? Pensais-tu vraiment que tout ce que je fais ici puisse être chamboulé par le premier venu ? Je te l’ai dit, le destin tel que j’en écris les pages ne peut être modifié. Pas même par moi d’ailleurs. Les écrits que je rédige sont aussitôt scellés. Ainsi pas de tentation possible.
-Mais ce que j’ai contribué à créer ? Ce lien entre Renaud et Eric ? Cette complicité retrouvée ?
-Un rêve. Un rêve qui contribuera peut-être à rendre la mort de Renaud Marcheix moins insupportable à son fils. Un rêve montrant à Eric la vie qu’il aurait souhaitée auprès de son père. Mais qu’il ne connaîtra jamais.

Théo se sentait mal et Il le sentit car sa voix se fit plus douce.
-Tu dois comprendre que Renaud Marcheix était un homme manipulateur et cupide, coureur de jupons et obsédé par sa carrière. Et probablement bien malheureux. Tu as voulu en faire quelqu’un de foncièrement bon. Mais c’est un personnage que tu as créé de toutes pièces parce que tu avais envie qu’un tel être existe. Juste un personnage qui ne pouvait pas avoir d’existence réelle.
-Donc Renaud Marcheix n’a jamais survécu… ? Et rien de ce que j’ai cru faire n’a existé ? C’est bien ça ?
-Parfaitement. Je ne t’ai pas convoqué plus tôt parce que je pensais que tu te reprendrais, que tu comprendrais de toi-même. Mais ce n’est jamais arrivé et c’est ce qui me déçoit profondément. Tout ce qui se passe ici n’est pas un jeu. Je ne passe pas mon temps à tirer sur des ficelles tel un marionnettiste. Il y a des règles. Elles doivent s’appliquer. Tout est écrit. Même les prétendus miracles dont ceux d’en bas sont si friands n’en sont pas. Une nouvelle fois, tout est écrit. C’est simple et complexe à la fois. C’est ce que tu dois comprendre. Tu ne peux pas te laisser submerger par tes émotions. Je ne dis pas que tout est juste mais tu dois apprendre à faire avec.

Théo ne disait plus rien. Ses yeux étaient embués. Ses pensées s’entrechoquaient dans sa tête.
-Les obsèques de Renaud Marcheix auront bientôt lieu. Je ne vais pas t’empêcher d’y aller si tu le souhaites. Ensuite, je te demanderai de ne plus te rendre en bas jusqu’à nouvel ordre.
Théo voulut répondre mais aucun son ne sortit de sa bouche. Alors il acquiesça.
Et lorsqu’il releva la tête, l’épais nuage s’était désagrégé en de multiples formes cotonneuses d’un blanc éclatant comme autant d’îles flottantes. Le ciel avait retrouvé un bleu azur. Et bien évidemment Il avait disparu.

Chapitre 11

Eric avait été impassible pendant la cérémonie et la mise en terre, malgré son jeune âge. Derrière lui, sa mère l’enlaçait mais il ne réagissait pas davantage. Il était probablement un peu triste bien sûr mais à la manière de quelqu’un qui, d’une certaine façon, n’avait toute sa vie connu que l’absence. Comme un vide qu’il avait déjà comblé, faute de mieux. La peine viendrait sûrement avec le temps. Mais pour l’instant ce n’était pas le cas. Chaque soir, il avait espéré que son père rentre à l’heure, lui fasse faire ses devoirs ou bien du sport. Il ne demandait pas grand chose pourtant. Juste un peu de considération. D’amour.

A quelques mètres de là, Théo observait la scène. Il avait longtemps hésité à venir, lui qui s’était persuadé avoir changé les choses entre Eric et son père. Mais il n’avait rien fait. Et c’était très bien ainsi, même s’il avait parfois, même à froid, un peu de mal à s’en convaincre.
Il avait fait de Renaud une sorte de père idéal. Un personnage qu’il n’était pas. Ou qu’il aurait pu être, qui sait…

Théo se sentait en souffrance. Quelque part, il était bien plus triste, en cet instant précis, que ne l’était Eric. Mais il devait être au dessus de ça. Ne plus se laisser submerger par ses émotions. Il savait de toute façon que le Destin, tel qu’Il l’avait écrit, lui offrait aussi son lot de beaux moments qu’il observait alors avec délice du haut de son petit nuage.

Alors Théo sourit. En même temps, Eric se mit aussi à sourire et prit la main de sa mère qu’il serra contre lui. Il les regarda une dernière fois tous les deux puis, comme à son habitude, entama son ascension, sautant de nuage en nuage, jusqu’à n’être qu’un point à l’horizon. Et disparaître.

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