Bonjour et bienvenue sur ce nouveau blog qui regroupe désormais l'ensemble de mes écrits passés. A présent, j'espère bien pouvoir l'enrichir de temps à autre de textes inédits. Vous trouverez dans le menu de droite deux catégories : les nouvelles et les ateliers d'écriture. Après, il n'y a pas d'ordre de lecture particulier donc, si mes textes ne sont pas trop mauvais, faites-vous plaisir !
Je le dis à chaque fois : cet espace est aussi le vôtre. Vos retours sont importants pour me permettre de progresser et de persévérer.
Bonne visite et à bientôt !

La vieille boulangerie


Il voyait les deux enfants regarder par la vitre arrière de l’ancienne boulangerie aujourd’hui désaffectée et cela le ramenait plus de 30 ans en arrière lorsqu’il y collait lui-même son nez.

Il devait avoir 7 ou 8 ans à l’époque et chaque matin, il ne pouvait s’empêcher de saliver en regarder l’étalage rempli de viennoiseries et autres entremets. Sa mère râlait à chaque fois parce qu’il mettait ses doigts sur la vitre et que « ça ne se fait pas ». Elle râlait aussi parce qu’il avait déjeuné quelques minutes auparavant et qu’elle avait l’impression que ça ne servait à rien. Il fallait toujours qu’il passe devant cette boulangerie pâtisserie, qu’il s’y arrête, qu’il colle son nez (et ses doigts !) contre la vitre. Plus que les bonnes choses disséminées un peu partout dans le magasin, c’était surtout la bonne odeur du pain chaud qui lui plaisait tout particulièrement. Il aurait pu rester là des heures, juste à sentir ou à regarder. Pains au chocolat ou aux raisins, têtes de nègre, éclairs au chocolat, meringues, tartelettes chantilly mais aussi sucettes, chocolats et autres gourmandises, il ne manquait rien. Il regardait, envieux, les passants qui pénétraient dans la boulangerie, faisant tinter la petite sonnette. Parfois, sa mère avait pitié de son désarroi, éclatait de rire, et allait lui chercher une confiserie ou un gâteau. Il l’accompagnait alors et n’était pas peu fier d’entrer dans la boutique.

Et puis, un jour, il se colla à la vitre. Sauf qu’il n’y avait rien derrière. A part des étals vides. L’odeur de pain avait disparu. Et tout le reste aussi. Il avait été bien triste ce jour-là. Il lui semblait même se rappeler qu’il avait pleuré, mais trente ans après, il ne pouvait en être sûr.

Sa mère avait bien essayé de le consoler, mais il savait bien, lui, qu’il ne sentirait plus les bonnes odeurs du pain juste sorti du four et qu’il ne verrait plus toutes ces choses délicieuses devant ses yeux. Et puis, un jour où son père l’accompagna à l’école (ce qui était assez exceptionnel, vu ses horaires de bureau), il passa une énième fois devant la vitre de l’ancienne boulangerie de son quartier. Son père s’arrêta et regarda par la vitre. Il resta là un moment. Alors l’enfant, n’y tenant plus, piqué par la curiosité, le rejoignit. Mais il n’y avait rien à voir, comme il le fit d’ailleurs remarquer sans ménagement à son père..

-En es-tu sûr ? demanda celui-ci en souriant.
Il ne comprit pas tout de suite ce que son père voulait dire.
-Es-tu obligé de ne voir qu’une pièce vide ? N’es-tu pas assez grand, assez imaginatif, pour y voir ta boulangerie, celle que tu aimais tant ? Et si tu as envie de sentir une bonne odeur de pain frais, qu’est-ce qui t’en empêche ? Ferme les yeux et pense juste très fort à ce que tu aimerais trouver derrière cette porte vitrée. Il n’y a pas de raison pour que ça n’apparaisse pas, si tu le souhaites vraiment.

L’enfant regarda son père comme une bête un peu curieuse mais comme il lui souriait toujours et que ce sourire avait quelque chose d’apaisant et de profondément réconfortant, il colla son nez (et ses doigts) à la vitre comme il l’avait fait tant de fois. Il ferma les yeux et espéra très fort. Il voulait tant retrouver sa boulangerie, celle devant laquelle tant de gens s’arrêtaient avant d’entrer, immanquablement. Il sourit soudain et renifla. Mais oui ! L’odeur du pain le titillait déjà. Et sur les étalages, à côté de la caisse enregistreuse, de gros gâteaux et tout autant de confiseries avaient retrouvé leur place. Et le carillon n’en finissait plus de tinter devant l’empressement des clients. Tout était comme avant. Il n’y avait qu’à fermer les yeux, c’était si simple. Il suffisait de souhaiter que les choses ne s’arrêtent jamais. Il pouvait même s’imaginer manger un de ces gros éclairs et s’empiffrer gaiement. Il l’aurait vraiment eu en bouche qu’il ne se serait peut-être pas autant régalé.

L’enfant avait ensuite regardé son père avec un sourire radieux, comme s’il avait partagé avec lui un secret de la plus haute importance. Les bonnes choses ne devaient certainement pas mourir alors. Il suffisait simplement de se rappeler à leur bon souvenir autant de fois que nécessaire. Et c’est ce qu’il fit jour après jour, inlassablement, en se rendant sur le chemin de l’école. Certains le pensaient sans doute un peu fou que de le voir s’extasier devant une boutique vide mais il s’en fichait. Ils ne pouvaient pas comprendre. Ni se régaler comme lui se régalait.

Aujourd’hui, 30 ans après, il était à nouveau devant cette même boulangerie, toujours à l’abandon. Et comme il l’avait lui-même fait tant de fois, deux enfants étaient collés devant la vitre et semblaient s’émerveiller de ce qu’ils y voyaient.
Il sourit en les regardant. Leurs mines rieuses faisaient plaisir à voir. Il devait y en avoir de bonnes choses à l’intérieur. Il pensa alors à son père aujourd’hui disparu. A la leçon de vie qu’il lui avait en fait donnée ce jour là. Finalement, être derrière une vitre, ou pas, n’avait guère d’importance. L’important, c’était aussi, de temps à autre, de pouvoir voir la vie telle qu’on voudrait qu’elle soit. Ou d’en faire quelque chose d’un peu meilleur. C’était une philosophie qu’il avait essayé d’appliquer jusqu’à présent. Lutter contre le vide apparent de l’existence lorsque les choses ne vont pas forcément dans le bon sens. Remplacer ce vide, cet état d’abandon, par quelque chose d’extraordinaire. Cela ne fonctionnait pas à chaque fois, mais lorsque ça fonctionnait, c’était toujours ça de pris. Et c’était inestimable à chaque fois.


L’homme regarda une dernière fois les deux enfants, sourit et tourna les talons. Il se lécha les doigts et fit mine de jeter un papier dans la première poubelle qu’il aperçut. Il n’y avait pas à dire : trente ans après, les éclairs au chocolat étaient toujours aussi savoureux !

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